Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout maîtriser à Nerva, sont-ils renversés par la balle perdue de Frédéricshall.

Nul événement ne sera l’effet d’une seule cause particulière. Toute circonstance dépend de la marche universelle, et toute prétendue cause libre résultera souvent elle-même de combinaisons effectuées il y a mille siècles. Un peu troublé par le bruit qui l’environne, le héros s’applaudit de sa force d’ame ; mais est-ce bien elle qui a détourné de deux pouces la direction d’un boulet ? Cette différence a fait mourir obscurs d’autres guerriers organisés non moins heureusement.

Des hommes altiers s’avancent guidés, disent-ils, par leur fortune ; ils croient mettre en œuvre, dans le mouvement général, quelques-uns des principaux ressorts concédés à l’industrie d’une race mortelle. Ils prétendent retenir ou hâter ce qui les entraîne. Ils vont prospérer ainsi, ils vont être admirés de la multitude jusqu’à l’heure où il ne restera de cette vaste existence que l’affliction prématurée des organes, et, dans la tête, une autre fatigue, le tumulte des impuissans regrets. Nos entreprises hardies, nos savantes recherches, l’élégance des arts, ces merveilles si honorables selon nous seraient-elles considérées par des esprits supérieurs, dans les espaces inconnus, comme de laborieuses puérilités ? Le