Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/100

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Reclose, la Vignette et Bourron. Me rapprochant ensuite du petit mont Chauvet jusqu’à la Croix-Hérant, je me dirigeai entre Malmontagne et la Route-aux-Nymphes. Je rentrai vers le soir avec quelque regret, et content de ma course ; si toutefois quelque chose peut me donner précisément du plaisir ou du regret.

Il y a dans moi un dérangement, une sorte de délire, qui n’est pas celui des passions, qui n’est pas non plus de la folie : c’est le désordre des ennuis ; c’est la discordance qu’ils ont commencée entre moi et les choses ; c’est l’inquiétude que des besoins longtemps comprimés ont mise à la place des désirs.

Je ne veux plus de désirs, ils ne me trompent point. Je ne veux pas qu’ils s’éteignent, ce silence absolu serait plus sinistre encore. Cependant c’est la vaine beauté d’une rose devant l’œil qui ne s’ouvre plus ; ils montrent ce que je ne saurais posséder, ce que je puis à peine voir. Si l’espérance semble encore jeter une lueur dans la nuit qui m’environne, elle n’annonce rien que l’amertume qu’elle exhale en s’éclipsant ; elle n’éclaire que l’étendue de ce vide où je cherchais, et où je n’ai rien trouvé.

De doux climats, de beaux lieux, le ciel des nuits, des sons particuliers, d’anciens souvenirs ; les temps, l’occasion ; une nature belle, expressive, des affections sublimes, tout a passé devant moi ; tout m’appelle, et tout m’abandonne. Je suis seul ; les forces de mon cœur ne sont point communiquées, elles réagissent dans lui, elles attendent : me voilà dans le monde, errant, solitaire au milieu de la foule qui ne m’est rien ; comme l’homme frappé dès longtemps d’une surdité accidentelle, et dont l’œil avide se fixe sur tous ces êtres muets qui passent et s’agitent devant lui. Il voit tout, et tout lui est refusé ; il devine les sons qu’il aime, il les cherche, et ne les entend pas ; il souffre le silence de toutes choses au milieu du