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ception des délices inaltérables et permanentes ; quand on a imaginé la candeur de la volupté, combien les soins, les vœux, les plaisirs du monde visible sont vains et misérables ! Tout est froid, tout est vide ; on végète dans un lieu d’exil, et, du sein des dégoûts, on fixe dans sa patrie imaginaire ce cœur chargé d’ennuis. Tout ce qui l’occupe ici, tout ce qui l’arrête n’est plus qu’une chaîne avilissante : on rirait de pitié, si l’on n’était accablé de douleur. Et lorsque l’imagination reportée vers ces lieux meilleurs compare un monde raisonnable au monde où tout fatigue et tout ennuie, l’on ne sait plus si cette grande conception n’est qu’une idée heureuse, et qui peut distraire des choses réelles, ou si la vie sociale n’est pas elle-même une longue distraction.

LETTRE XXXI.

Paris, 30 mars, III.

J’ai beaucoup de soin dans les petites choses ; je songe alors à mes intérêts. Je ne néglige rien dans les détails, dans ces minuties qui feraient sourire de pitié des hommes raisonnables : si les choses sérieuses me semblent petites, les petites ont pour moi de la valeur. Il faudra que je me rende raison de ces bizarreries ; que je voie si je suis, par caractère, étroit et minutieux. S’il s’agissait de choses vraiment importantes, si j’étais chargé de la félicité d’un peuple, je sens que je trouverais une énergie égale à ma destinée sous ce poids difficile et beau. Mais j’ai honte des affaires de la vie civile : tous ces soins d’hommes ne sont, à mes yeux, que des soucis d’enfants. Beaucoup de grandes choses ne me paraissent que des embarras misérables, où l’on s’engage avec plus de légèreté que d’énergie, et dans lesquels l’homme ne chercherait pas sa gran-