Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/118

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le même accord, la même harmonie ; il souffre plutôt des discordances, parce qu’il est fondé lui-même sur le sentiment délicat de quelques discordances ; mais dans un sujet héroïque on ne peut supporter des fautes qui font rire le parterre.

Il est des spectateurs heureux qui n’ont pas besoin d’une grande vraisemblance : ils croient toujours voir une chose réelle ; et, de quelque manière qu’on joue, c’est une nécessité qu’ils pleurent dès qu’il y a des soupirs ou un poignard. Mais ceux qui ne pleurent pas ne vont guère au spectacle pour entendre ce qu’ils pourraient lire chez eux ; ils y vont pour voir comment on l’exprime, et pour comparer, dans un même passage, le jeu de tel avec celui de tel autre.

J’ai vu, à peu de jours de distance, le rôle difficile de Mahomet par les trois acteurs seuls capables de l’essayer. La R... mal costumé, débitant ses tirades d’une manière trop animée, trop peu solennelle, et pressant surtout à l’excès la dernière, ne m’a fait plaisir que dans trois ou quatre passages où j’ai reconnu ce tragédien supérieur qu’on admire dans les rôles qui lui conviennent mieux.

S.-P... joue bien ce rôle ; il l’a bien étudié, il le raisonne assez bien, mais il est toujours acteur, et n’est point Mahomet.

B... m’a paru entendre vraiment ce rôle extraordinaire. Sa manière, extraordinaire elle-même, paraissait bien celle d’un prophète de l’Orient ; mais peut-être elle n’était pas aussi grande, aussi auguste, aussi imposante qu’il l’eût fallu pour un législateur conquérant, un envoyé du ciel destiné à convaincre par l’étonnement, à soumettre, à triompher, à régner. Il est vrai que Mahomet, chargé des soins de l’autel et du trône, n’était pas aussi fastueux que Voltaire l’a fait, comme il n’était pas non plus aussi fourbe. Mais l’acteur dont je parle n’est peut-