Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naît de ces cendres refroidies. Funèbre, sinistre, il absorbe tout espoir, il règne sur les ruines, il dévore, il éteint ; d’un effort invincible, il creuse notre tombe, asile qui donnera du moins le repos par l’oubli, le calme dans le néant.

Sans les désirs, que faire de la vie ? Végéter stupidement ; se traîner sur la trace inanimée des soins et des affaires ; ramper énervé dans la bassesse de l’esclave ou la nullité de la foule ; penser sans servir l’ordre universel ; sentir sans vivre ! Ainsi, jouet lamentable d’une destinée que rien n’explique, l’homme abandonnera sa vie aux hasards et des choses et des temps. Ainsi, trompé par l’opposition de ses vœux, de sa raison, de ses lois, de sa nature, il se hâte d’un pas riant et plein d’audace vers la nuit sépulcrale. L’œil ardent, mais inquiet au milieu des fantômes, et le cœur chargé de douleurs, il cherche et s’égare, il végète et s’endort.

Harmonie du monde, rêve sublime ! Fin morale, reconnaissance sociale, lois, devoirs ; mots sacrés parmi les hommes ! je ne puis vous braver qu’aux yeux de la foule trompée.

A la vérité, j’abandonne des amis que je vais affliger, ma patrie dont je n’ai point assez payé les bienfaits, tous les hommes que je devais servir : ce sont des regrets et non pas des remords. Qui, plus que moi, pourra sentir le prix de l’union, l’autorité des devoirs, le bonheur d’être utile ? J’espérais faire quelque bien : ce fut le plus flatteur, le plus insensé de mes rêves. Dans la perpétuelle incertitude d’une existence toujours agitée, précaire, asservie, vous suivez tous, aveugles et dociles, la trace battue de l’ordre établi ; abandonnant ainsi votre vie à vos habitudes, et la perdant sans peine comme vous perdriez un jour. Je pourrais, entraîné de même par cette déviation universelle, laisser quelques bienfaits dans ces voies d’er-