Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/168

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siez pas de vous jouer des hommes ! C’est la nature, c’est l’intelligence suprême qui veulent que je plie ma tête sous le joug insultant et lourd. Elles veulent que je m’attache à ma chaîne, et que je la traîne docilement, jusqu’à l’instant où il vous plaira de la briser sur ma tête. Quoi que vous fassiez, un Dieu vous livre ma vie, et l’ordre du monde serait interverti si votre esclave échappait.

L’Éternel m’a donné l’existence et m’a chargé de mon rôle, dites-vous, dans l’harmonie de ses œuvres ; je dois le remplir jusqu’à la fin, et je n’ai pas le droit de me soustraire à son empire. — Vous oubliez trop tôt l’âme que vous m’avez donnée. Ce corps terrestre n’est que poussière, ne vous en souvient-il plus ? Mais mon intelligence, souffle impérissable émané de l’intelligence universelle, ne pourra jamais se soustraire à sa loi. Comment quitterais-je l’empire du maître de toutes choses ? Je ne change que de lieu ; les lieux ne sont rien pour celui qui contient et gouverne tout. Il ne m’a pas placé plus exclusivement sur la terre que dans la contrée où il m’a fait naître.

La nature veille à ma conservation ; je dois aussi me conserver pour obéir à ses lois, et puisqu’elle m’a donné la crainte de la mort, elle me défend de la chercher. — C’est une belle phrase ; mais la nature me conserve ou m’immole à son gré : du moins le cours des choses n’a point en cela de loi connue. Lorsque je veux vivre, un gouffre s’entr’ouvre pour m’engloutir, la foudre descend me consumer. Si la nature m’ôte la vie qu’elle m’a fait aimer, je me l’ôte quand je ne l’aime plus ; si elle m’arrache un bien, je rejette un mal ; si elle livre mon existence au cours arbitraire des événements, je la quitte ou la conserve avec choix. Puisqu’elle m’a donné la faculté de vouloir et de choisir, j’en use dans la circonstance où