Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/180

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Mais il me semble que, dans la vie obscure, il faut au moins chercher quelqu’un avec qui l’on ait des devoirs à remplir. Cette indépendance philosophique est une vie commode, mais froide. Celui qui n’est pas enthousiaste doit la trouver insipide à la longue. Il est affreux de finir ses jours en disant : Nul cœur n’a été heureux par mon moyen ; nulle félicité d’homme n’a été mon ouvrage ; j’ai passé impassible et nul, comme le glacier qui, dans les antres des montagnes, a résisté aux feux du midi, mais qui n’est pas descendu dans la vallée protéger de son eau le pâturage flétri sous leurs rayons brûlants.

La religion finit toutes ces anxiétés (H) ; elle fixe tant d’incertitudes ; elle donne un but qui, n’étant jamais atteint, n’est jamais dévoilé ; elle nous assujettit pour nous mettre en paix avec nous-mêmes ; elle nous promet des biens dont l’espoir reste toujours, parce que nous ne saurions en faire l’épreuve ; elle écarte l’idée du néant, elle écarte les passions de la vie ; elle nous débarrasse de nos maux désespérants, de nos biens fugitifs ; et elle met à la place un songe dont l’espérance, meilleure peut-être que tous les biens réels, dure du moins jusqu’à la mort. Si elle n’annonçait pas d’épouvantables châtiments, elle paraîtrait aussi bienfaisante que solennelle ; mais elle entraîne la pensée de l’homme vers des abîmes nouveaux. Elle est fondée sur des dogmes que plusieurs ne peuvent croire : en désirant ses effets, ils ne peuvent les éprouver ; en regrettant cette sécurité, ils ne sauraient en jouir. Ils cherchent ces célestes apparences, et ils ne voient qu’un rêve des mortels ; ils aiment la récompense de l’homme bon, mais ils ne voient pas qu’ils aient mérité de la nature ; ils voudraient perpétuer leur être, et ils voient que tout passe. Tandis que des novices à peine tonsurés entendent distinctement un ange qui célèbre leurs jeûnes et leurs mérites, ceux qui ont le sentiment de la vertu savent