Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/191

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détruire les écrits, d’expliquer et de confondre les allégories, de laisser le sens profond et vrai pour chercher des idées absurdes qu’on puisse admirer, et de personnifier les êtres abstraits afin d’avoir beaucoup à adorer.

Les grandes conceptions étaient avilies. Le Principe de la vie, l’Intelligence, la Lumière, l’Éternel n’était plus que le mari de Junon ; l’Harmonie, la Fécondité, le lien des êtres, n’étaient plus que l’amante d’Adonis ; la Sagesse impérissable n’était plus connue que par son hibou ; les grandes idées de l’immortalité et de la rémunération consistaient dans la crainte de tourner une roue, et dans l’espoir de se promener sous des rameaux verts. La Divinité indivisible était partagée en une multitude hiérarchique agitée de passions misérables ; le résultat du génie des races primitives, les emblèmes des lois universelles n’étaient plus que des pratiques superstitieuses, dont les enfants riaient dans les villes.

Rome avait changé une partie du monde, et Rome changeait. L’Occident inquiet, agité, opprimé ou menacé, instruit et trompé, ignorant et désabusé, avait tout perdu sans avoir rien remplacé ; encore endormi dans l’erreur, il était déjà étonné du bruit confus des vérités que la science cherchait.

Une même domination, les mêmes intérêts, la même terreur, le même esprit de ressentiment et de vengeance contre le peuple-roi, tout rapprochait les nations. Leurs habitudes étaient interrompues, leurs constitutions n’étaient plus ; l’amour de la cité, l’esprit de séparation, d’isolement, de haine pour les étrangers, s’était affaibli dans le désir général de résister aux vainqueurs, ou dans la nécessité d’en recevoir des lois : le nom de Rome avait tout réuni. Les vieilles religions des peuples n’étaient plus que des traditions de province, le Dieu du Capitole avait fait oublier leurs dieux, et l’apothéose desempe-