Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/203

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ne savais-je pas assez que cette apathie, et surtout cette sorte de crainte et de défiance mutuelles, cette incertitude, cette ridicule réserve qui, étant l’instinct des uns, devient le devoir des autres, condamnaient tous les hommes à se voir avec ennui, à se lier avec indifférence, à s’aimer avec lassitude, à se convenir inutilement, et à bâiller tous les jours ensemble, faute de se dire une fois : Ne bâillons plus ?

En toutes choses, et partout, les hommes perdent leur existence ; ils se fâchent ensuite contre eux-mêmes, ils croient que ce fut leur faute. Malgré l’indulgence pour nos propres faiblesses, peut-être sommes-nous trop sévères en cela, trop portés à nous attribuer ce que nous ne pouvions éviter. Lorsque le temps est passé, nous oublions les détails de cette fatalité impénétrable dans ses causes, et à peine sensible dans ses résultats.

Tout ce qu’on espérait se détruit sourdement ; toutes les fleurs se flétrissent, tous les germes avortent ; tout tombe, comme ces fruits naissants qu’une gelée a frappés de mort, qui ne mûriront pas, qui périront tous, mais qui végètent encore plus ou moins longtemps suspendus à la branche stérilisée, comme si la cause de leur ruine eût voulu rester inconnue.

On a la santé, l’intimité ; on voit dans ses mains ce qu’il faut pour une vie assez douce : les moyens sont tout simples, tout naturels ; nous les tenons, ils nous échappent pourtant. Comment cela se fait-il ? La réponse serait longue et difficile : je la préférerais à bien des traités de philosophie ; elle n’est pas même dans les trois mille lois de Pythagore.

Peut-être se laisse-t-on trop aller à négliger des choses indifférentes par elles-mêmes, et que pourtant il faut désirer, ou du moins recevoir, pour que les heures soient occupées sans langueur. Il y a une sorte de dédain, qui