Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/241

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bien difficile que des plaisirs tant répétés le soient toujours sans mélange et sans satiété. Ainsi altérés ou seulement affaiblis par l’habitude qui dissipe les illusions, ils ne donnent plus cette surprise qui avertit d’un bonheur auquel on ne croyait pas, ou qu’on n’attendait pas ; ils ne portent plus l’imagination de l’homme au delà de ce qu’il concevait ; ils ne l’élèvent plus par une progression dont le dernier terme est devenu trop connu : l’espérance rebutée l’abandonne à ce sentiment pénible d’une volupté qui s’échappe, à ce sentiment du retour qui souvent est venu la refroidir. On se souvient trop qu’il n’y a rien au delà, et ce bonheur jadis tant imaginé, tant espéré, tant possédé, n’est plus qu’un amusement d’une heure et le passe-temps de l’indifférence. Des sens épuisés, ou du moins satisfaits, ne s’embrasent plus à une première émotion ; la présence d’une femme ne les étonne plus ; ses beautés dévoilées ne les agitent plus d’un frémissement universel ; la séduisante expression de ses désirs ne donne plus à l’homme qu’elle aime une félicité inattendue. Il sait quelle est la jouissance qu’il obtient ; il peut imaginer qu’elle finira ; sa volupté n’a plus rien de surnaturel : celle qu’il possède n’est plus qu’une femme, et lui-même a tout perdu, il ne sait plus aimer qu’avec les facultés d’un homme.




Il est bien l’heure de finir ; le jour commence. Si vous êtes revenu hier à Chessel, vous allez en ce moment visiter vos fruits. Pour moi qui n’ai rien de semblable à faire, et qui suis très-peu touché d’un beau matin depuis que je ne sais pas employer le jour, je vais me coucher. Je ne suis point fâché quand le jour parait, d’avoir encore ma nuit tout entière à passer, afin d’arriver sans peine à l’après-midi, dont je me soucie peu.