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amis. Une autre manière de vivre m’eût ennuyé davantage dans une grande ville, mais celle-là ne me satisfaisait pas. Elle pourrait tromper si on en partageait la jouissance avec quelqu’un qui y trouvât du plaisir ; mais je suis destiné à être toujours comme si je n’étais pas.

Nous le disions souvent : un homme raisonnable n’est pas ordinairement malheureux, lorsqu’il est libre et qu’il a un peu de ce pouvoir que donne l’argent. Cependant me voici dans la Suisse, sans plaisir, rempli d’ennui et ne sachant quelle résolution prendre. Je n’ai point de famille ; je ne tiens à rien ici ; vous n’y viendrez pas, je suis bien isolé. J’ai quelque espoir confus que cela ne subsistera pas ainsi. Puisque je peux me fixer enfin, il faut songer à le faire : le reste viendra peut-être.

Il tombe encore de la neige ; j’attendrai à Fribourg que la saison soit plus avancée. Vous savez que le domestique que j’ai emmené est d’ici. Sa mère est très-malade, et n’a pas d’autre enfant que lui : c’est à Fribourg qu’elle demeure ; elle aura la consolation de l’avoir auprès d’elle ; et, pour un mois environ, je suis aussi bien ici qu’ailleurs.

LETTRE LIV.

Fribourg, 25 mars, huitième année.

Vous trouvez que ce n’était pas la peine de quitter sitôt Lyon pour m’arrêter dans une ville : je vous envoie pour réponse une vue de Fribourg. Quoiqu’elle ne soit pas exacte, et que l’artiste ait jugé à propos de composer au lieu de copier fidèlement, vous y verrez du moins que je suis au milieu des rocs : être à Fribourg, c’est aussi être à la campagne. La ville est dans les rochers, et sur les rochers. Presque toutes ses rues ont une pente rapide ; mais, malgré cette situation incommode, elle est mieux