Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/264

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tous ces sons austères : on entendait à une grande distance les grosses cloches des vaches qui montaient au Kousin-berg. L’odeur sauvage du sapin brûlé s’unissait à ces bruits montagnards, et au milieu des fruits simples, dans un asile désert, le café fumait sur une table d’amis.

Cependant les seuls d’entre nous qui jouirent de cet instant furent ceux qui n’en sentaient pas l’harmonie morale. Triste faculté de penser à ce qui n’est point présent !..... Mais il n’était pas parmi nous deux cœurs semblables. La mystérieuse nature n’a point placé dans chaque homme le but de sa vie. Le vide et l’accablante vérité sont dans le cœur qui se cherche lui-même : l’illusion entraînante ne peut venir que de celui qu’on aime. On ne sent pas la vanité des biens possédés par un autre ; et, chacun se trompant ainsi, des cœurs amis deviennent vraiment heureux au milieu du néant de tous les biens directs.

Pour moi, je me mis à rêver au lieu d’avoir du plaisir. Cependant il me faut peu de chose ; mais j’ai besoin que ce peu soit d’accord : les biens les plus séduisants ne sauraient m’attacher si j’y découvre de la discordance, et la plus faible jouissance que rien ne flétrit suffit à tous mes désirs. C’est ce qui me rend la simplicité nécessaire ; elle seule est harmonique. Aujourd’hui le site était trop beau. Notre salle pittoresque, notre foyer rustique, un goûter de fruits et de crème, notre intimité momentanée, le chant de quelques oiseaux, et le vent qui à tout moment jetait dans nos tasses des feuilles de sapin, c’était assez ; mais le torrent dans l’ombre, et les bruits éloignés de la montagne, c’était beaucoup trop : j’étais le seul qui entendît.