Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/281

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l’appellent, et une moralité expansive et vertueuse le fixe. L’amour n’existe pas, à la vérité, sans le prestige de la beauté corporelle ; mais il semble tenir plus encore à l’harmonie intellectuelle, aux grâces de la pensée, aux profondeurs du sentiment.

L’union, l’espérance, l’admiration, les prestiges, vont toujours croissant jusqu’à l’intimité parfaite ; elle remplit l’âme que cette progression agrandissait. Là s’arrête et rétrograde l’homme ardent sans être sensible, et n’ayant d’autre besoin que celui du plaisir. Mais l’homme aimant ne change pas ainsi ; plus il obtient, plus il est lié ; plus il est aimé, plus il aime ; plus il possède ce qu’il a désiré, plus il chérit ce qu’il possède. Ayant tout reçu, il croit tout devoir : celle qui se donne à lui devient nécessaire à son être ; des années de jouissance n’ont pas changé ses désirs, elles ont ajouté à son amour la confiance d’une habitude heureuse et les délices d’une libre mais délicate intimité.

On prétend condamner l’amour comme une affection tout à fait sensuelle, et n’ayant d’autre principe qu’un besoin qu’on appelle grossier. Mais je ne vois rien dans nos désirs les plus compliqués dont la véritable fin ne soit un des premiers besoins physiques ; le sentiment n’est que leur expression indirecte, et l’homme purement intellectuel ne fut jamais qu’un fantôme. Nos besoins éveillent en nous la perception de leur objet positif, et les perceptions innombrables des objets qui leur sont analogues. Les moyens directs ne rempliraient pas seuls la vie ; mais ces impulsions accessoires l’occupent tout entière, parce qu’elles n’ont point de bornes. Celui qui ne saurait vivre sans espérer de soumettre la terre, n’y eût pas songé s’il n’eût pas eu faim. Nos besoins réunissent deux modifications d’un même principe, l’appétit et le sentiment ; la prépondérance de l’une sur l’autre dé-