Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/284

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c’est votre devoir. J’imagine que vous avez cru faire quelque chose par l’établissement du mariage[1]. Mais l’union dans laquelle les résultats de vos institutions nous forcent de suivre les convenances du hasard, ou de chercher celles de la fortune à la place des convenances réelles ; l’union qu’un moment peut flétrir pour toujours, et que tant de dégoûts altèrent nécessairement ; une telle union ne nous suffit pas. Je vous demande un prestige qui puisse se perpétuer ; vous me donnez un lien dans lequel je vois à nu le fer d’un esclavage sans terme, sous ces fleurs d’un jour dont vous l’aviez maladroitement couvert, et que vous-même avez déjà fanées. Je vous demande un prestige qui puisse déguiser ou rajeunir ma vie ; la nature me l’avait donné. Vous osez me parler des ressources qui me restent. Vous souffririez que, vil contempteur d’un engagement où la promesse doit être observée religieusement, puisqu’elle est donnée, j’aille persuader à une femme d’être méprisable afin que je l’aime[2] ? Moins directement coupable, mais non moins inconsidéré, m’efforcerai-je de troubler ma famille, de désoler des parents, de déshonorer celle à qui ce genre d’honneur est si nécessaire dans la société ? Ou bien, pour n’attaquer aucun droit, pour n’exposer personne, irai-je, dans des lieux

  1. J’ai mal usé du droit d’éditeur, j’ai retranché des passages de plusieurs lettres, et cependant j’ai laissé trop de choses hasardées ou inutiles. Mais cette négligence ne serait pas aussi excusable dans une lettre comme celle-ci : c’est à dessein que j’ai laissé ce mot sur le mariage. Je ne l’ai pas supprimé, parce que je n’ai pas en vue la foule de ceux qui lisent : elle seule pourrait ne pas trouver évident que cela n’attaque ni l’utilité de l’institution du mariage ni même tout ce qu’il y a d’heureux dans un mariage heureux.
  2. Il y avait dans le texte : « Je ne la presserai point d’être fourbe en ma faveur, je m’y refuserais même ; et je ne ferais rien en cela que de très-simple, rien qui ne soit, pour quiconque y a su penser, un devoir rigoureux dont l’infraction l’avilirait. Nulle force du désir, nulle passion mutuelle même ne peut servir d’excuse. »