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LETTRE LXV.

Saint-Saphorin, 14 juillet, VIII.

Soyez assuré que votre manière de penser ne sera pas combattue : si j’avais assez de faiblesse pour qu’il me fût un jour nécessaire en ceci d’être ramené à la raison, je retrouverais votre lettre. J’aurais d’autant plus de honte de moi que j’aurais bien changé, car maintenant je pense absolument comme vous. Jusque-là, si elle est inutile sous ce rapport, elle ne m’en satisfait pas moins. Elle est pleine de cette sollicitude de la vraie amitié qui fait redouter par-dessus toutes choses, que l’homme en qui on a mis une partie de soi-même se laisse aller à cesser d’être homme de bien.

Non, je n’oublierai jamais que l’argent est un des plus grands moyens de l’homme, et que c’est par son usage qu’il se montre ce qu’il est. Le mieux possible nous est rarement permis : je veux dire que les convenances sont si opposées, qu’on ne peut presque jamais faire bien sous tous les rapports. Je crois que c’en est une essentielle de vivre avec une certaine décence, et d’établir dans sa maison des habitudes commodes, une manière réglée. Mais, passé cela, l’on ne saurait excuser un homme raisonnable d’employer à des superfluités ce qui permet de faire tant de choses meilleures.

Personne ne sait que je veux me fixer ici : cependant je fais faire à Lausanne et à Vevay quelques meubles et diverses autres choses. On a pensé apparemment que j’étais en état de sacrifier une somme un peu forte aux caprices d’un séjour momentané : on aura cru que j’allais prendre une maison pour passer l’été. Voilà comment on a trouvé que je faisais de la dépense, et comment j’ai