Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/316

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Pour passer le temps comme je puis dans ma chambre, autant vaut le ciel glacé des Samoïèdes que le doux ciel de l’Ionie. Ce que je craindrais le plus, ce serait peut-être le beau temps perpétuel de ces contrées ardentes, où le vieillard n’a pas vu pleuvoir dix fois. Je trouve les beaux jours bien commodes ; mais malgré le froid, les brumes, la tristesse, je supporte mieux l’ennui des mauvais temps que celui des beaux jours.

Je ne dors plus comme autrefois. L’inquiétude des nuits, le désir du repos me font songer à tant d’insectes qui tourmentent l’homme dans les pays chauds, et dans les étés de plusieurs pays du Nord. Les déserts ne sont plus à moi ; les besoins de convention me deviennent naturels. Que m’importe l’indépendance de l’homme ? Il me faut de l’argent ; et avec de l’argent, je puis être bien à Pétersbourg comme à Naples. Dans le Nord, l’homme est assujetti par les besoins et les obstacles ; dans le Midi, il est asservi par l’indolence et la volupté. Dans le Nord, le malheureux n’a pas d’asile ; il est nu, il a froid, il a faim, et la nature serait pour lui aussi terrible que l’aumône et les cachots. Sous l’équateur, il a les forêts, et la nature lui suffit quand l’homme n’y est pas. Là il trouve des asiles contre la misère et l’oppression ; mais moi, lié par mes habitudes et ma destinée, je ne dois pas aller si loin. Je cherche une cellule commode, où je puisse respirer, dormir, me chauffer, me promener en long et en large, et compter ma dépense. C’est donc beaucoup si je la bâtis près d’un rocher suspendu et menaçant, près d’une eau bruyante, qui me rappellent de temps à autre que j’eusse pu faire autre chose.

Cependant j’ai pensé à Lugano. Je voulais l’aller voir ; j’y ai renoncé. C’est un climat facile : on n’y a pas à souffrir l’ardeur des plaines d’Italie, ni les brusques alternatives et la froide intempérie des Alpes ; la neige y tombe