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de chimérique, et ne donne pas de grands embarras pour un vain but. J’aime à tirer le meilleur parti de mon temps, de mon argent, de tout mon être. La passion de l’ordre occupe mieux, et produit bien plus que les autres passions ; elle ne sacrifie rien en pure perte. Le bonheur est moins coûteux que les plaisirs.

« — Soit ! mais de quel bonheur parlons-nous ? Passer ses jours à faire sa partie, à dîner et à parler d’une actrice nouvelle, cela peut être assez commode, comme vous le dites fort bien, mais cette vie ne fera point le bonheur de celui qui a de grands besoins.

« — Vous voulez des sensations fortes, des émotions extrêmes : c’est la soif d’une âme généreuse, et votre âge peut encore y être trompé. Quant à moi, je me soucie peu d’admirer une heure, et de m’ennuyer un mois ; j’aime mieux m’amuser souvent, et de m’ennuyer jamais. Ma manière d’être ne me lassera pas, parce que j’y joins l’ordre, et que je m’attache à cet ordre. »

Voilà tout ce que j’ai conservé de notre entretien, qui a duré une grande heure sur le même ton. J’avoue que, s’il ne me réduisit pas au silence, il me fit du moins beaucoup rêver.

LETTRE LXXIII.

Im., septembre, VIII.

Vous me laissez dans une grande solitude. Avec qui vivrai-je lorsque vous serez errant par delà les mers ? C’est maintenant que je vais être seul. Votre voyage ne sera pas long ; cela se peut : mais gagnerai-je beaucoup à votre retour ? Ces fonctions nouvelles qui vous assujettiront sans relâche vous ont donc fait oublier mes montagnes et la promesse que vous m’aviez faite ? Avez-vous cru Bordeaux si près des Alpes ?