Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/340

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tôt ; leur brûlant midi m’épuise ; et la navrante harmonie de leurs soirées célestes fatigue les cendres de mon cœur : le génie qui s’endormait sous ses ruines a frémi du mouvement de la vie.

Les neiges fondent sur les sommets ; les nuées orageuses roulent dans la vallée : malheureux que je suis ! les cieux s’embrasent, la terre mûrit, le stérile hiver est resté dans moi. Douces lueurs du couchant qui s’éteint ! grandes ombres des neiges durables ! et l’homme n’aurait que d’amères voluptés quand le torrent roule au loin dans le silence universel, quand les chalets se ferment pour la paix de la nuit, quand la lune monte au-dessus du Velan !

Dès que je sortis de cette enfance que l’on regrette, j’imaginai, je sentis une vie réelle ; mais je n’ai trouvé que des sensations fantastiques : je voyais des êtres, il n’y a que des ombres ; je voulais de l’harmonie, je ne trouvai que des contraires. Alors je devins sombre ; le vide creusa mon cœur ; des besoins sans bornes me consumèrent dans le silence, et l’ennui de la vie fut mon seul sentiment dans l’âge où l’on commence à vivre. Tout me montrait cette félicité pleine, universelle, dont l’image idéale est pourtant dans le cœur de l’homme, et dont les moyens si naturels semblent effacés de la nature. Je n’essayais encore que des douleurs inconnues ; mais quand je vis les Alpes, les rives des lacs, le silence des chalets, la permanence, l’égalité des temps et des choses, je reconnus des traits isolés de cette nature pressentie. Je vis les reflets de la lune sur le schiste des roches et sur les toits de bois ; je vis des hommes sans désirs ; je marchai sur l’herbe courte des montagnes ; j’entendis des sons d’un autre monde.

Je redescendis sur la terre ; là s’évanouit cette foi aveugle à l’existence absolue des êtres, cette chimère de rapports réguliers, de perfections, de jouissances