Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/354

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mœurs ! vertus ! honnête homme ! et à qui dès lors on ne prêterait pas un louis sans billet.

Tout homme qui a l’esprit juste et qui veut être utile, ne fût-ce que dans sa vie privée, tout homme enfin qui est digne de quelque considération, la cherche. Il se conduit de manière à l’obtenir jusque dans les choses où l’opinion des hommes est vaine par elle-même, pourvu que ce soin n’exige de lui rien de contraire à ses devoirs ou aux résultats essentiels de son caractère. S’il est une règle sans exception, je pense que ce doit être celle-ci ; j’affirmerais volontiers que c’est toujours par quelque vice du cœur ou du jugement que l’on dédaigne et que l’on affecte de dédaigner l’estime publique, partout où la justice n’en commande pas le sacrifice.

On peut être considéré dans la vie la plus obscure, si on s’environne de quelque aisance, si on a de l’ordre chez soi et une sorte de dignité dans l’habitude de sa vie. On peut l’être dans la pauvreté même, quand on a un nom, quand on a fait des choses connues, quand on a une manière plus grande que son sort, quand on sait faire distinguer de ce qui serait misère dans le vulgaire, jusqu’au dénûment d’une extrême médiocrité. L’homme qui a un caractère élevé n’est point confondu parmi la foule ; et si, pour l’éviter, il fallait descendre à des soins minutieux, je crois qu’il se résoudrait à le faire. Je crois qu’il n’y aurait pas en cela de vanité : le sentiment des convenances naturelles porte chaque homme à se mettre à sa place, à tendre à ce que les autres l’y mettent. Si c’était un vain désir de primer, l’homme supérieur craindrait l’obscurité du désert et ses privations, comme il craint la bassesse et la misère du cinquième étage ; mais il craint de s’avilir, et ne craint point de n’être pas élevé : il ne répugne pas à son être de n’avoir pas un grand rôle, mais d’en avoir un qui soit contraire à sa nature.