Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/58

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Quoique j’eusse traversé peu de neiges, comme je n’avais pris aucunes précautions contre elles, mes yeux, fatigués de leur éclat et brûlés par la réflexion du soleil de midi sur leur surface glacée, ne purent bien discerner les objets. D’ailleurs beaucoup des sommets que j’apercevais me sont inconnus : je n’ai pu être certain que des plus remarquables. Depuis que je suis en Suisse, je ne lis que de Saussure, Bourrit, Tableau de la Suisse, etc., mais je suis encore fort étranger dans les Alpes. Je n’ai pu néanmoins méconnaître la cime colossale du mont Blanc, qui s’élevait sensiblement au-dessus de moi ; celle du Velan ; une autre plus éloignée, mais plus haute, que je suppose être le mont Rosa ; et la dent de Morcle, de l’autre côté de la vallée, vis-à-vis, près de moi, mais plus bas, par-delà les abîmes. Le bloc que je ne pouvais escalader nuisait beaucoup à la partie la plus frappante peut-être de cette vaste perspective. C’est derrière lui que s’étendaient les longues profondeurs du Valais, bordées de l’un et de l’autre côté par les glaciers de Sanetz, de Lauter-Brunnen et des Pennines, et terminées par les dômes du Gothard et du Titlis, les neiges de la Furca, les pyramides du Schreckhorn et du Finster-aar-horn.

Mais cette vue des sommets abaissés sous les pieds de l’homme, cette vue si grande, si imposante, si éloignée de la monotone nullité du paysage des plaines, n’était pas encore ce que je cherchais dans la nature libre, dans l’immobilité silencieuse, dans l’air pur. Sur les terres basses, c’est une nécessité que l’homme naturel soit sans cesse altéré, en respirant cette atmosphère sociale si épaisse, si orageuse, si pleine de fermentation, toujours ébranlée par le bruit des arts, le fracas des plaisirs ostensibles, les cris de la haine et les perpétuels gémissements de l’anxiété et des douleurs. Mais là, sur ces monts déserts, où le ciel est immense, où l’air est plus fixe, et les