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LETTRE X.

Paris, 20 juin, seconde année.

Rien ne se termine : les misérables affaires qui me retiennent ici se prolongent chaque jour, et plus je m’irrite de ces retards, plus le terme devient incertain. Les faiseurs d’affaires pressent les choses avec le sang-froid de gens à qui leur durée est habituelle, et qui d’ailleurs se plaisent dans cette marche lente et embarrassée digne de leur âme astucieuse, et si commodes pour leurs ruses cachées. J’aurais plus de mal à vous en dire s’ils m’en faisaient moins : au reste, vous savez mon opinion sur ce métier, que j’ai toujours regardé comme le plus suspect ou le plus funeste. Un homme de loi me promène de difficultés en difficultés : croyant que je dois être intéressé et sans droiture, il marchande pour sa partie ; il pense, en m’excédant de lenteurs et de formalités, me réduire à donner ce que je ne puis accorder, puisque je ne l’ai pas. Ainsi, après avoir passé six mois à Lyon malgré moi, je suis encore condamné à en passer davantage peut-être ici.

L’année s’écoule : en voilà une encore à retrancher de mon existence. J’ai perdu le printemps presque sans murmure, mais l’été dans Paris ! Je passe une partie du temps dans les dégoûts inséparables de ce qu’on appelle faire ses affaires ; et, quand je voudrais rester en repos le reste du jour, et chercher dans ma demeure une sorte d’asile contre ces longs ennuis, j’y trouve un ennui plus intolérable. J’y suis dans le silence au milieu du bruit, et seul je n’ai rien à faire dans un monde turbulent. Il n’y a point ici de milieu entre l’inquiétude et l’inaction ; il faut s’ennuyer si l’on n’a des affaires et des passions. Je suis dans une chambre ébranlée du retentissement per-