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LETTRE XXI.

Fontainebleau, 1er septembre, II.

Il fait de bien beaux jours, et je suis dans une paix profonde. Autrefois j’aurais joui davantage dans cette liberté entière, dans cet abandon de toute affaire, de tout projet, dans cette indifférence sur tout ce qui peut arriver.

Je commence à sentir que j’avance dans la vie. Ces impressions délicieuses, ces émotions subites qui m’agitaient autrefois et m’entraînaient si loin d’un monde de tristesse, je ne les retrouve plus qu’altérées et affaiblies. Ce désir que réveillait en moi chaque sentiment de quelque beauté dans les choses naturelles, cette espérance pleine d’incertitude et de charme, ce feu céleste qui éblouit et consume un cœur jeune, cette volupté expansive dont il éclaire devant lui le fantôme immense, tout cela n’est déjà plus. Je commence à voir ce qui est utile, ce qui est commode, et non plus ce qui est beau.

Vous qui connaissez mes besoins sans bornes, dites-moi ce que je ferai de la vie, quand j’aurai perdu ces moments d’illusions qui brillaient dans ses ténèbres, comme les lueurs orageuses dans une nuit sinistre ! Ils la rendaient plus sombre, je l’avouerai ; mais ils montraient qu’elle pouvait changer, et que la lumière subsistait encore. Maintenant que deviendrai-je, s’il faut que je me borne à ce qui est, et que je reste contenu dans ma manière de vivre, dans mes intérêts personnels, dans le soin de me lever, de m’occuper, de me coucher ?

J’étais bien différent dans ces temps où il était possible que j’aimasse. J’avais été romanesque dans mon enfance et alors encore j’imaginai une retraite selon mes goûts. J’avais faussement réuni, dans un point du Dauphiné,