Page:Servières - Tannhæuser à l’Opéra en 1861, 1895.djvu/120

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tous les contemporains survivants, Wagner tenait au succès de son opéra et le désirait vivement[1] ; il en avait besoin pour sortir de la gêne où il vivait depuis tant d’années et qu’avaient encore accrue ses goûts de luxe. Il ressentit, au contraire, très durement son échec, et Mme Sasse, la créatrice du rôle d’Elisabeth, se rappelle très bien qu’au moment où le rideau descendit lentement après le troisième acte, à la dernière représentation, « Wagner, dans la loge du directeur, était blême et pleurait de honte, de douleur et de rage[2] ». Il le ressentit longtemps et ne le pardonna jamais à la France. Les sentiments gallophobes qu’il exprima si violemment par la suite en font foi.

Supposons maintenant que Tannhæuser eût triomphé en 1861. Qu’en fût-il résulté ? Lohengrin n’eût pas tardé à être joué, le Théâtre-Lyrique, à défaut de l’Opéra, se fût approprié Rienzi et le Vaisseau-Fantôme. Mais le public de l’époque n’eût jamais pu

  1. Nérée Desarbres, secrétaire particulier d’A. Royer, dans ses souvenirs anecdotiques intitulés : Sept ans à l’Opéra (1 vol. in-18, 1864, Dentu), rapporte un mot de Wagner significatif à cet égard. — « Quand, aux répétitions, des fanatiques ou des flatteurs lui pronostiquaient cent ou deux cents représentations : — « Le Tannhæuser, répondait-il, il sera joué toujours ! »
  2. Journal des Débats du 27 avril 1895.