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CYRANETTE

« Ce n’est que cela, ma chérie, et je t’avoue que chez nous c’est autrement grandiose, autrement impressionnant. Oui, c’est beaucoup moins plat, la Savoie, beaucoup moins pot-au-feu, à mon avis, que le Devonshire, et quelques arpents de landes, quelques carrés de myrtes n’y feront rien. Il me faudrait autre chose pour me faire oublier nos vergers, nos rochers et nos sapinières, et je reconnais que papa n’avait pas tort de s’emballer sur des sites comme ceux de l’Aiguille et d’Aiguebelette, vus du col du Crucifix, quand le soleil révèle « la splendeur insoupçonnée de merveilleux lointains ». Robert a beau dire, ils n’ont pas ça à Sidmouth. Je ne veux pas le peiner, bien entendu, et je m’extasie comme il sied avec lui sur « l’éclair furtif des truites entre les longues herbes de ses ruisseaux », sur ses saules « qui baignent dans une eau claire », sur ses « grands bœufs indolents » et ses « agiles et hennissants poneys ». Après tout, ce n’est pas mal. Seulement, il y a mieux.

« Mais si, au lieu de te décrire à mon tour le cadre, je te parlais plutôt de mon nouveau domaine et de mon entourage immédiat ?

« Oak Grove » est une façon d’ancien manoir situé excentriquement par rapport à l’agglomération proprement dite de Sidmouth. Son nom n’est pas trompeur. Le corps de logis et ses dépendances se trouvent en effet au fond d’une chênaie archicentenaire et si touffue qu’on s’y perdrait sans l’admirable symétrie des allées. C’est rudement chic, cette vieille demeure de gentilshommes campagnards et je m’y plairai énormément, pourvu qu’on ne m’y tienne pas enfermée toute l’année.

« Ce que je lui reproche un peu, c’est d’abord son isolement et, ensuite, ses dimensions excessives. Tu ne t’imaginerais pas la grandeur des pièces, ni la hauteur des plafonds. J’y dois faire l’effet d’une mouche emprisonnée sous une cloche à fromage. Encore est-il qu’une mouche, ça voltige, tandis que moi je n’ai pas d’ailes pour me donner