Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/55

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d’Aiguebelette. Un drôle de bouchon, tu sais, tout au bord du lac. On s’y était engouffrés, bien aises d’y être au sec. Et puis il y avait un petit vin blanc dont M. le curé a redemandé. Moi, je ne l’aime pas beaucoup, le vin blanc. Ça ne vaut pas une bonne orangeade. N’empêche que j’en ai bu deux doigts.

Denise sourit malgré elle. Quand elle s’y met, cette Liette, elle dériderait un convoi d’enterrement.

— Tu parles d’une saucée ! Ça piquait le lac, floc ! floc ! pas moyen de canoter. Une seule yole à l’eau et, dedans, un petit monsieur avec sa petite dame, tous deux en waterproof… Mon Dieu, que j’ai ri ! Ils barbotaient, ils s’ébrouaient, plouf ! plouf ! de vrais canards. Finalement, ils y ont renoncé. Leurs têtes en cherchant refuge au bouchon, non, tu n’as pas idée ! Ils se sont fourrés dans un coin et ils ont feuilleté un vénérable album d’images. C’était d’un comique !…

— À table ! interrompt M. Daliot. La montagne, rien de tel pour vous mettre en appétit !

— Oui, père, je raconte nos aventures à Nise.

M. Daliot hausse les épaules.

— Veux-tu l’intéresser ? Parle-lui plutôt de cette belle eau dormante, si floue parfois, à peine gris perle, et parfois si vive, si miroitante, si richement nuancée de turquoise et de béryl…

Sur quoi, en verve lui aussi, l’archiviste entreprend de décrire le tableau qui lui est apparu à la faveur d’une éclaircie.

C’était de tout là-haut, près du col, avant de dévaler l’autre versant de la chaîne. Une bourrasque venait de nettoyer le ciel ; elle rabattait vers les montagnes de légers charrois de nuées et, dans l’air redevenu transparent, ces pales dragons de la tempête fuyaient à la débandade, puis s’engouffraient, horde après horde, entre les tours et les clochetons de l’Épine. Le soleil triomphait, il dorait le lac ; il régnait sur les collines et les bois ; il révélait la splendeur insoupçonnée de merveilleux