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NOTES.

il alla à une fenêtre pour s’appuyer, et commença fortement à penser. La dame, qui à ce point ne pensoit, alla les autres seigneurs et chevaliers fêter et saluer moult grandement et à point, ainsi qu’elle savoit bien faire, chacun selon son état ; et puis commande à appareiller le dîner ; et quand temps seroit, mettre les tables, et la salle parer et ordonner.

Chapitre CLXVI.
Comment le roi Édouard dit à la comtesse qu’il convenait qu’il fût d’elle aimé, dont elle fut fortement ébahie.

Quand la dame eut devisé et commandé à ses gens tout ce que bon lui sembla, elle s’en revint, à chère lie, devers le roi, qui encore pensoit et musoit (rêvoit) fortement ; et lui dit :

— Cher sire, pourquoi pensez-vous si fort ? Tant penser n’affiert (appartient) pas à vous, ce m’est avis, sauve votre grâce : ains (mais) dussiez faire fête et joie et bonne chère, quand vous avez enchassé vos ennemis, qui ne vous ont osé attendre, et dussiez les autres laisser penser du remenant (reste).

Le roi répondit et dit :

— Ha ! chère dame, sachez que puis (depuis) que j’entrai céans m’est un songe survenu, de quoi je ne me prenois pas garde : si m’y convient penser, et ne sais qu’advenir m’en pourra : mais je n’en puis mon cœur ôter.

— Citer sire, ce dit la dame, vous dussiez toujours faire bonne chère pour vos gens conforter, et laisser penser et le muser. Dieu vous a si bien aidé jusques à maintenant en toutes vos besognes, et donné si grand’grâce que vous êtes le plus douté (redouté) et honoré prince des chrétiens ; et si le roi d’Écosse vous a fait dépit et dommage, vous le pourrez bien amender quand vous voudrez, ainsi que autrefois avez fait. Si laisser le muser et venez en la salle, s’il vous plaît, delez (près de) vos chevaliers : tantôt sera prêt pour dîner.

— Ha ! ma chère dame, autre chose me touche et gît en mon cœur que vous ne pensez ; car certainement le doux maintien, le parfait sens, et la grand’noblesse, la grâce et la fine beauté que j’ai vu et trouvé en vous m’ont si surpris et entrepris, qu’il con-