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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

vires et aux banderolles et enseignes il connut soudain que c’était des gens de son pays, et devint tout pensif, rêvant sur l’occasion qui amenait là cette flotte qui n’était pas moindre que de quarante galères, chargées de richesses inestimables. Non, pourtant quand il vit que les mariniers balayaient le pont et que quelques gentilshommes tyriens avaient déjà pris terre, il s’avança et s’adressa à celui qui marchait le premier, lequel il semblait reconnaître, s’enquérant de lui qui il était et d’où il venait, et pourquoi il venait en ce pays avec tel équipage. L’autre le voyant et richement vêtu, et ayant un port et contenance royale, et suivi d’une belle troupe de noblesse, l’estima être, comme il était, quelque grand personnage ; pour ce, s’humiliant et lui faisant la révérence, répondit qu’il venait de Tyr, envoyé par tous les ports de mer pour s’enquérir d’un prince nommé Apollonie, fugitif de son pays pour éviter l’injuste fureur du roi de Syrie : priant chacun de lui enseigner, puisqu’il ne le cherchait que pour son profit, et pour le supplier de venir visiter les siens et les consoler de sa vue, d’autant que son ennemi était mort, et avec lui sa fille et sale concubine, tous deux accablés de foudre et brûlés du feu du ciel, afin que, par ce feu violent, fût punie la brûlante et détestable paillardise qui avait si longtemps fait paraître ses étincelles en leurs âmes ; encore lui dit que les Antiochéens l’avaient élu pour leur roi, et qu’ils lui gardaient et leur ville et les grands trésors du roi défunt, et son état et son royaume. Si Apollonie fut joyeux ne faut s’en ébahir, voyant que désormais il pourrait faire largesse du sien sans dépendre de la volonté d’autrui et sans user des moyens de son beau-père, lequel, toutefois, ne lui épargnait rien. Au reste, craignant que ce ne fussent des espions qui, pour l’attraper, eussent feint cette mort du roi antiochéen, il ne voulut sitôt se déclarer ; seulement, dit que si l’autre parlait vérité, il se faisait fort de lui montrer Apol-