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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

et fille, entrant à la chapelle plus secrète, ne prirent garde à la face de la prêtresse ; ains, se jetant à ses pieds, Apollonie se mit à faire un long discours de sa vie. Mais, quand la dame entendit que c’était son seigneur et mari Apollonie, et qu’il avait couru si longuement fortune pour l’amour d’elle, et que cette damoiselle qui le suivait était sa fille, elle ne put tant commander à soi-même, ni respecter le rang qu’elle tenait, qu’elle ne se jetât au cou de son époux et ne l’embrassât fort étroitement. Cette façon de faire déplut grandement au prince de Tyr, et pour ce repoussa-t-il avec fureur la dame, ne sachant qui elle était et qui la poussait à lui faire de telles caresses. Elle, ne se souciant de cette peu courtoise familiarité, le retint plus étroitement, et, le baisant, en dépit qu’il en eût, de grande amitié, lui disait :

— Je suis votre Archestrate, monseigneur, je suis votre disciple, fille unique du bon roi de Cyrène ; c’est moi qui vous recueillis en la maison de mon père, et qui fis tant, amoureuse de votre savoir et vertu, que le roi mon seigneur vous choisit sur tout autre pour l’époux de sa fille et pour le successeur de sa couronne. Regardez, prince de Tyr, regardez celle que vous ensevelîtes en un cercueil après ses couches, et reconnaissez votre loyale Archestrate, que Diane a conservée entière à son mari, comme je crois que mon Apollonie s’est maintenu loyalement et a gardé la foi promise à la fidèle partie.

Apollonie ne disant mot, tant il était surpris et saisi d’aise et d’étonnement, Archestrate dit :

— Eh quoi, monsieur, ne daignez-vous me parler ? suis-je indigne de votre accointances ? est-ce le compte que vous faites de votre moitié ? sont-ce les caresses que vous me faisiez au peu de temps que les dieux ont permis que nous fussions ensemble ? Au moins, si ne voulez me parler, si refusez ma vue, faites-moi la grâce que je puisse voir notre fille : afin que, puisque le père me rejette, l’enfant