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INTRODUCTION.

fère la seconde voie, il lui faudra cheminer à cheval par la route de Rochester. Mais, alors, gare les dunes de Raynham ! Sur cette lande montueuse et solitaire, couverte d’ajoncs et de broussailles, les attaques à main armée sont fréquentes. Des bandits redoutables s’embusquent souvent derrière ces épais fourrés et tombent à l’improviste sur le passant. Il est donc bon de prendre ses précautions. Aller là, seul, avec un domestique, c’est déjà une grosse témérité. Le plus prudent, c’est de recruter d’honnêtes compagnons de route et d’organiser, pour traverser ces parages, une sorte de caravane. Au reste, quand vous serez parvenu à Londres, ne vous croyez pas au bout de vos inquiétudes. Il y a dans la Cité maint carrefour tout aussi périlleux que les dunes de Raynham. Dès le crépuscule, le boutiquier sage ferme son échoppe. Pas de lumière dans les rues ; l’obscurité est profonde, et « la vieille filouterie[1] » s’y donne carrière. Si, après avoir soupé à l’ordinaire, cette table d’hôte de l’époque, vous avez envie de prendre l’air à la promenade fashionable de Saint-Paul, ne vous attardez pas trop ; car, au détour d’une rue, vous pourriez bien faire une mauvaise rencontre et recevoir un mauvais coup.

À cette époque, le guet-apens est partout ; il rode aux alentours des palais ; il guette le seuil des maisons ; il barre les routes ; il tient la ville et la campagne. Il menace les existences les plus hautes, comme les plus humbles. Il se loue à vil prix. Pour quelques livres, on achète un assassin et l’on se débarrasse d’un être gênant. On n’a qu’à choisir entre les genres de meurtre : le coup d’épée, le coup de couteau, le coup de fusil, le coup de massue, la bastonnade, la noyade ou l’étranglement. Veut-on éviter les traces de violence et faire la chose sans bruit ? On se procure du poison. Rien de plus facile. Il n’est pas de petite ville qui n’ait

  1. Old filching, dit l’auteur d’Arden de Feversham.