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ACTE I, SCÈNE II.

MIRANDA.

Cette occupation ne serait pas plus messéante pour moi qu’elle ne l’est pour vous, et je la remplirai beaucoup plus facilement, car ma volonté y sera, et la vôtre y répugne.

PROSPÉRO, à part.

Pauvre enfant ! le poison t’a gagnée ; en voilà la preuve.

MIRANDA.

Vous semblez fatigué ?

FERDINAND.

Non, ma noble maîtresse ; quand vous êtes près de moi, le soir, je sens la fraîcheur de l’aurore ; oserais-je vous demander (afin surtout de le faire entrer dans mes prières) quel est votre nom ?

MIRANDA.

Miranda. (À part.) Ô mon père ! je viens de te désobéir.

FERDINAND.

Admirable Miranda ! digne en effet de ce que l’admiration a de plus élevé, digne de ce que le monde a de plus précieux ! Bien des femmes ont obtenu l’hommage de mes regards ; l’harmonie de leur voix a captivé mon oreille avide ; j’ai aimé dans diverses femmes des qualités diverses, mais jamais complètement ; toujours quelque défaut faisait ombre à la grâce la plus noble, et en détruisait l’effet ; mais vous, parfaite et sans égale, vous fûtes créée avec ce que chaque créature avait de meilleur.

MIRANDA.

Je n’ai jamais vu personne de mon sexe ; je ne me rappelle les traits d’aucune femme, si ce n’est les miens, que mon miroir m’a reproduits ; de même, je n’ai vu d’hommes véritables que vous, ami, et mon père bien-aimé. Comment sont faits les autres, je l’ignore ; mais, j’en jure par ma modestie (ce joyau de mon douaire), je ne désire pas dans la vie d’autre compagnon que vous, et mon imagination ne me représente que vous au monde que je puisse aimer. Mais je parle inconsidérément, et j’oublie les préceptes de mon père.

FERDINAND.

Par ma naissance, je suis prince, Miranda ; je pense même que je suis roi ; plût au ciel qu’d n’en fût rien ! et je souffrirais mille tourments plutôt que de me soumettre à ces fonctions serviles. Écoutez parler mon âme : Dès l’instant où je vous ai vue, mon cœur a volé vers vous ; il s’est mis à votre service, il a fait de moi votre esclave, et c’est pour l’amour de vous que je suis devenu un bûcheron docile.

MIRANDA.

M’aimez-vous ?

FERDINAND.

Ô ciel ! ô terre ! soyez témoins de mes paroles ; si je dis vrai, couronnez mes vœux d’un heureux succès ; si je