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LA TEMPÊTE.

IRIS.

Venez, venez, nymphes des eaux ;
Naïades, accourez, le front ceint de roseaux ;
Quittez vos sources murmurantes,
À la voix de Junon, venez, nymphes charmantes,
Sur ces gazons fleuris célébrer avec nous
D’un amour chaste et pur le triomphe si doux.


Entrent PLUSIEURS NYMPHES.


IRIS, continuant

Accourez, moissonneurs, et quittez la faucille ;
Sur vos fronts basanés que l’allégresse brille ;’
Sortez de vos sillons un instant délaissés ;
Couverts de vos chapeaux que la paille a tressés,
Venez, au doux signal d’une champêtre danse,
À ces jeunes beautés vous unir en cadence.


On voit paraître des moissonneurs dans le costume de leur état ; ils forment avec les nymphes une danse gracieuse ; tout à coup Prospéro fait un mouvement brusque et se lève.


PROSPÉRO, à part.

J’avais oublié l’abominable conspiration du monstre Caliban et de ses complices ; le moment fixé pour l’exécution de leur complot est presque arrivé. {Aux Esprits.) C’est bien, en voilà assez, disparaissez.


On entend de sourds murmures, des bruits étranges, et les esprits disparaissent successivement.


FERDINAND.

Voilà qui est étrange ; votre père paraît en proie à quelque violente émotion.

MIRANDA.

Je ne l’avais encore jamais vu dans une irritation pareille.

PROSPÉRO.

Tu parais ému, mon fils ; on dirait que quelque chose t’effraye ; rassure-toi, nos divertissements sont maintenant terminés. Comme je te l’ai dit, les acteurs que tu as vus étaient tous des esprits qui se sont évaporés en air, en air subtil. Un jour viendra que, de même que l’édifice sans base de cette vision, les orgueilleuses tours, les somptueux palais, les temples solennels, le globe immense lui-même, avec tout ce qu’il enserre, se dissoudront, et comme le spectacle substantiel qui vient de s’évanouir, il n’en restera pas la trace la plus légère ; nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre courte existence se termine par un sommeil. Je suis contrarié ; c’est une faiblesse qu’il faut me pardonner ; mon vieux cerveau est troublé. Ne vous affectez point de mon infirmité ; veuillez rentrer dans ma grotte et vous y reposer ; je vais me promener un instant pour calmer l’agitation de mon esprit.