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LA TEMPÊTE.

ma fille et moi, Alonzo ; ton frère fut complice de cet acte. {À Sébastien.) Tu es maintenant puni, Sébastien. (Se tournant vers Antonio.) Toi, ma chair et mon sang, mon frère ! chez qui l’ambition étouffa le remords et la nature ; toi qui, avec Sébastien, dont l’âme est maintenant en proie à de cruelles tortures, as voulu ici immoler ton roi, tout dénaturé que tu sois, je te pardonne !… Le flot de leur intelligence commence à se gonfler, et la marée qui approche couvrira bientôt les rivages de la raison, maintenant infects et fangeux. Aucun d’eux ne me regarde encore et ne me reconnaît : Ariel, va chercher dans ma grotte mon chapeau et mon épée. {Ariel sort.) Je vais changer de costume et me présenter à leurs regards en duc de Milan, tel que j’étais autrefois. Ariel, dépêche-toi ; avant peu tu seras libre.


ARIEL, rentre et chante en aidant Prospéro à s’habiller.

Je bois, sur la rose vermeille,
Les sucs dont se nourrit l’abeille ;
Quand le hibou jette ses cris,
Je dors dans une primevère.
À l’heure où le soleil retire sa lumière,
Je vole sur le dos d’une chauve-souris ;
Que je vais être heureux maintenant sur la terre,
Bercé dans les rameaux fleuris !


PROSPÉRO.

Merci, mon charmant Ariel ; je te regretterai ; cependant tu auras ta liberté : allons, voilà qui est bien. Invisible comme tu es, va au vaisseau du roi ; tu y trouveras les matelots endormis sous les écoutilles. Le patron et le contre-maître seuls sont éveillés ; amène-les ici, et promptement, je te prie.

ARIEL.

Je bois l’air devant moi et reviens sans tarder.

Il sort.
ALONZO.

Nous ne rencontrons ici que tortures, douleurs et sujets d’étonnement. Puisse quelque puissance céleste nous aider à sortir de cette île redoutable !

PROSPÉRO.

Roi de Naples, tu vois devant toi Prospéro, duc de Milan, cette victime de l’iniquité. Pour que tu ne doutes pas que le prince qui te parle est vivant, je te presse dans mes bras, et te présente, ainsi qu’à tous ceux qui t’accompagnent, un salut cordial.

ALONZO.

J’ignore si tu es Prospéro ou bien une de ces illusions qui m’abusent depuis quelque temps ! cependant je sens battre ton pouls comme celui d’un homme fait de chair