Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/101

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pesant, et ton sang ne coule point ! et tu parles ! et tu n’es pas blessé ! Dix mâts l’un au bout de l’autre n’atteindraient pas à cette hauteur d’où tu viens de tomber perpendiculairement. Ta vie est un miracle ; parle donc encore.

Glocester. – Mais suis-je tombé ou non ?

Edgar. – De l’effroyable cime de cette montagne de craie – Regarde cette hauteur d’où l’alouette à la voix perçante ne pourrait être ni vue ni entendue – Regarde seulement en l’air.

Glocester. – Hélas ! je n’ai plus d’yeux – Le malheur est-il donc privé du bienfait de pouvoir par la mort se délivrer de lui-même ? Il restait encore quelque consolation quand la misère pouvait tromper la rage d’un tyran et se soustraire à ses orgueilleuses volontés.

Edgar. – Donnez-moi votre bras ; allons, levez-vous – Bon – Comment êtes-vous ? Sentez-vous vos jambes, pouvez-vous vous tenir debout ?

Glocester. – Trop bien, trop bien.

Edgar. – C’est la chose la plus miraculeuse ! — Qu’est-ce donc que j’ai vu s’éloigner de vous au sommet de la montagne ?

Glocester. – Un pauvre malheureux mendiant.

Edgar. – Ici, d’en bas où j’étais ses yeux m’ont paru comme deux pleines lunes, il avait un millier de nez, des cornes contournées, et ondulait comme la mer en furie : c’était quelque esprit – Ainsi, heureux vieillard, tu dois penser que les dieux très-grands, qui font leur gloire de ce qui est impossible aux hommes, ont voulu te sauver.

Glocester. – Je me rappelle maintenant. Désormais je supporterai l’affliction jusqu’à ce qu’elle crie d’elle-même : Assez, assez, meurs – Celui dont tu me parles, je l’ai pris pour un homme ; il ne cessait de répéter : L’esprit, l’esprit ! C’est lui qui m’avait conduit à cet endroit.

Edgar. – Cherche la liberté d’esprit et la patience. Entre Lear, bizarrement paré de fleurs. — Qui vient ici ? Une tête en bon état n’arrangerait jamais ainsi celui qui la porte.