Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/494

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les hommes,-ils vous consoleront, ils vous entretiendront, ils vous réveilleront. Voilà Boult de retour. (Entre Boult.) Eh bien ! l’as-tu criée dans le marché ?

Boult : Je l’ai criée sans oublier un de ses cheveux ; j’ai fait son portrait avec ma voix.

La Femme : Et dis-moi, comment as-tu trouvé les gens disposés, surtout la jeunesse ?

Boult : Ma foi, ils m’ont écouté comme ils écouteraient le testament de leur père. Il y a eu un Espagnol à qui l’eau en est tellement venue à la bouche, qu’il a été se mettre au lit rien que pour avoir entendu faire son portrait.

La Femme : Nous l’aurons demain ici avec sa plus belle manchette.

Boult : Cette nuit, cette nuit ! Mais, notre maîtresse, connaissez-vous le chevalier français qui fait de si profondes révérences ?

La Femme : Qui ! monsieur Véroles ?

Boult : Oui, il voulait faire un salut à la proclamation ; mais il a poussé un soupir et juré qu’il viendrait demain.

La Femme : Bien, bien : quant à lui il a apporté sa maladie avec lui ; il ne fait ici que l’entretenir. Je sais qu’il viendra à l’ombre de la maison pour étaler ses couronnes au soleil.

Boult : Si nous avions un voyageur de chaque nation, nous les logerions tous avec une telle enseigne.

La Femme : Je vous prie, venez un peu ici. Vous êtes dans le chemin de la fortune ; écoutez-moi. Il faut avoir l’air de faire à regret ce que vous ferez avec plaisir, et de mépriser le profit quand vous gagnerez le plus. Pleurez votre genre de vie, cela inspire de la pitié à vos amants : cette pitié vous vaut leur bonne opinion, et cette bonne opinion est un profit tout clair.

Marina : Je ne vous comprends pas.

Boult : Emmenez-la, maîtresse, emmenez-la ; cette pudeur s’en ira avec l’usage.

La Femme : Tu dis vrai, ma foi, cela viendra ; la fiancée elle-même ne se prête qu’avec honte à ce qu’il est de son devoir de faire.