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ACTE II, SCÈNE IV.
(La reine ne fait point de réponse ; mais elle se lève de son siège, traverse la cour, va au roi, et, se jetant à ses pieds, elle lui adresse ce discours.)

CATHERINE. — Sire, je vous en conjure, rendez-moi justice, et accordez-moi votre pitié ; car je suis une femme bien malheureuse, et une faible étrangère, née hors de votre empire, n’ayant ici aucun juge désintéressé, ni aucune assurance d’une amitié impartiale et d’un jugement équitable. Hélas ! sire, en quoi vous ai-je offensé ? Quel motif de mécontentement a pu vous donner ma conduite, pour que vous procédiez ainsi à me renvoyer, et que vous me retiriez vos bonnes grâces ? Le Ciel m’est témoin que j’ai été pour vous une épouse fidèle et soumise, toujours prête à me conformer à votre volonté, toujours en crainte d’exciter en vous le moindre déplaisir, docile à votre physionomie, triste ou gaie, selon que je vous y voyais enclin. Quand est-il jamais arrivé que j’aie contredit vos désirs, ou que je n’en aie pas fait les miens ? Quel est celui de vos amis que je ne me sois pas efforcée d’aimer, même lorsque je savais qu’il était mon ennemi ? et qui de mes amis a conservé mon affection lorsqu’il s’était attiré votre colère, ou même n’a pas reçu de moi des marques de mon éloignement ? Sire, rappelez à votre souvenir que j’ai été votre femme avec soumission, pendant plus de vingt années, et que le Ciel m’a accordé la joie de vous donner plusieurs enfants. Si, dans tout le cours de cette longue durée d’années, vous pouvez citer et prouver quelque chose qui soit contraire à mon honneur, au lien du mariage, à l’amour et au respect que je dois à votre personne sacrée, au nom de Dieu, renvoyez-moi, et que le mépris le plus ignominieux ferme la porte sur moi, et m’abandonne à la justice la plus sévère. Souffrez que je vous le dise, sire : le roi votre père était renommé pour un des princes les plus prudents, d’un esprit et d’un jugement incomparables ; Ferdinand, mon père, roi d’Espagne, passait aussi pour le prince le plus sage qui eut rempli ce trône depuis bien des années : on ne peut révoquer en doute qu’ils aient assemblé autourd’eux, dans chaque royaume, un conseil éclairé,

T. VIII.
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