Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/18

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Glocester. ― Il n’en était que plus digne du Roi du ciel, qui le possède maintenant.

Anne. ― Il est dans le ciel, où tu n’entreras jamais.

Glocester. ― Qu’il me remercie donc de l’y avoir envoyé : il était plus fait pour ce séjour que pour la terre.

Anne. ― Et toi, tu n’es fait pour aucun autre séjour que l’enfer.

Glocester. ― Il y aurait encore une autre place, si vous me permettiez de la nommer.

Anne. ― Quelque cachot, sans doute.

Glocester. ― Votre chambre à coucher.

Anne. ― Que l’insomnie habite la chambre où tu reposes !

Glocester. ― Elle l’habitera, madame, jusqu’à ce que j’y repose entre vos bras.

Anne. ― Je l’espère ainsi.

Glocester. ― Et moi, j’en suis sûr.― Mais, aimable lady Anne, finissons cet assaut de mots piquants, et discutons d’une manière plus posée.― L’auteur de la mort prématurée de ces Plantagenet, Henri et Édouard, n’est-il pas aussi condamnable que celui qui en a été l’instrument ?

Anne. ― Tu en as été la cause, et de toi est sorti cet effet maudit.

Glocester. ― C’est votre beauté qui a été la cause de cet effet. Oui, votre beauté qui m’obsédait pendant mon sommeil, et me ferait entreprendre de donner la mort au monde entier, si je pouvais à ce prix vivre seulement une heure sur votre sein charmant.

Anne. ― Si je pouvais le croire, je te déclare, homicide, que tu me verrais déchirer de mes ongles la beauté de mon visage.

Glocester. ― Jamais mes yeux ne supporteraient la destruction de cette beauté. Vous ne parviendrez pas à l’outrager, tant que je serai présent. C’est elle qui m’anime comme le soleil anime le monde : elle est ma lumière, ma vie.