Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/340

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statue qui ne satisfait que les yeux, être semblable à l’homme, mais qui ne naquis point d’une femme : tu n’es pas un homme, quoique tu aies le teint d’un homme, car les hommes donnent des baisers par leur propre instinct. »

XXXVII. — Elle dit, l’impatience arrête sa langue suppliante, et la colère qui l’étouffe la contraint au silence ; ses joues enflammées, ses yeux ardents disent assez ses outrages ; étant juge et amante, elle ne peut se faire rendre justice. Tantôt elle pleure, tantôt elle veut parler, ses sanglots s’y opposent.

XXXVIII. — Parfois elle secoue la tête, puis elle lui prend la main ; elle le regarde, et puis elle fixe ses yeux sur la terre. Quelquefois ses bras l’entourent comme une ceinture ; elle voudrait l’enchaîner dans ses bras, mais il ne veut pas, et quand il s’efforce d’échapper à son étreinte, elle enlace ses doigts de lis.

XXXIX. — Mon amour, dit-elle, puisque je t’ai enfermé dans ce cercle d’ivoire, je serai le parc, et tu seras mon daim ; nourris-toi où tu voudras, sur les coteaux ou dans la vallée ; rassasie-toi sur mes lèvres, et, si les montagnes sont desséchées, erre plus bas, tu y trouveras de douces fontaines.

XL. — Dans ces limites tu as de quoi te satisfaire ; une pelouse et une belle plaine délicieuse ; des coteaux arrondis et des taillis épais et sombres pour te mettre à l’abri de la tempête et de la pluie. Sois donc mon daim puisque je suis un parc si charmant ; aucun limier ne t’y poursuivra, quand même tu en entendrais aboyer mille. »

XLI. — A ces mots, Adonis sourit de dédain ; sur chacune de ses joues se forme une jolie fossette ; c’est l’amour qui les a creusées, et s’il périssait il pourrait être enseveli dans une tombe si simple, sachant bien qu’une fois qu’il y serait déposé il y vivrait et ne pourrait pas mourir.

XLII. — Ces aimables grottes, ces fossettes enchantées ouvrent leur bouche pour engloutir le caprice de Vénus. Elle était déjà folle, que va devenir sa raison ? déjà frappée à mort, qu’a-t-elle besoin d’une autre blessure ? Pauvre reine de l’amour, abandonnée dans ton propre empire, peux-tu bien aimer des joues que le mépris seul fait sourire ?

XLIII. — Maintenant que fera-t-elle, que dira-t-elle ? elle a tout dit et n’a fait qu’augmenter ses maux. Le temps a fui, son amant va s’éloigner ; il cherche à s’échapper de ses bras enlacés. « Par pitié, s’écrie-t-elle, une grâce… un remords… » Il s’élance et se précipite vers son coursier.

XLIV. — Mais voici ! D’un taillis voisin, une jeune cavale,