Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/342

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Fière, comme le sont les femmes, de se voir recherchée, elle feint le caprice, fait la cruelle, repousse son amour, dédaigne l’ardeur qu’il éprouve, et répond par des ruades à ses amoureuses caresses.

LIII. — Alors, triste et mécontent, il baisse sa queue qui, telle qu’un panache flottant, prêtait une ombre bienfaisante à sa croupe en sueur. Il frappe du pied et mord dans sa rage les pauvres mouches. La cavale, voyant sa fureur, se rend plus complaisante, et sa colère est apaisée.

LIV. — Son maître impatienté va pour le ressaisir, lorsque soudain la cavale indomptée, pleine de terreur et craignant de se voir saisie s’enfuit rapidement ; le cheval la suit et laisse Adonis. Tous deux, comme égarés, se dirigent vers le bois, et dépassent les corbeaux qui cherchent à voler plus vite qu’eux.

LV. — Essoufflé de sa course, Adonis s’assied, maudissant son coursier impétueux et indomptable. Voici de nouveau une bonne occasion qui s’offre à l’amour malheureux d’obtenir le bonheur qu’il implore : car les amants disent que le cœur a trois fois tort quand il est privé du secours de la langue.

LVI. — Un four que l’on ferme n’en est que plus brûlant ; une digue ne fait qu’augmenter la fureur d’un fleuve : on en peut dire autant d’une douleur cachée : la liberté de la parole calme le feu de l’amour ; mais, quand l’avocat du cœur est muet, le client se meurt, son affaire est désespérée.

LVII. — Il la voit venir, et recommence à rougir, de même qu’un charbon mourant que le vent rallume. Il cache son front irrité avec sa toque, et se tourne vers la terre d’un air chagrin, sans prendre garde à elle, bien qu’elle soit tout près : car il ne saurait la regarder avec des yeux favorables.

LVIII. — Oh ! quel spectacle c’était de la voir s’avancer en cachette vers le fantasque jeune homme, et d’observer les couleurs changeantes de ses joues, comme le rouge et le blanc se détruisaient l’un l’autre ! la pâleur enfin y domine ; mais de temps en temps ses yeux lancent des flammes comme s’il passait un éclair dans le ciel.

LIX. — Le voilà devant lui, et il est assis, comme le ferait une amante timide, elle s’agenouille ; avec une de ses belles mains elle relève sa toque ; l’autre douce main caresse ses joues vermeilles. Ces joues délicates reçoivent l’impression de cette tendre main comme la neige fraîchement tombée garde toute empreinte.

LX. — O quelle guerre de regards se déclara alors entre eux ! Les yeux de Vénus implorent ceux d’Adonis, qui la regardent