Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/346

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saient comme la lune réfléchie dans l’eau pendant la nuit.

LXXXIII. — Où suis-je donc ?  ? dit-elle ; sur la terre ou dans le ciel ? Suis-je dans l’Océan ou dans le feu ? quelle heure est-il ? est-ce le matin ou le soir fatigué ? suis-je ravie de mourir, ou désiré-je la vie ? Tout à l’heure je vivais, et ma vie était assurée contre la mort ! tout à l’heure je mourais, et la mort m’était un ravissement !

LXXXIV. — Oh ! c’était toi qui me tuais ! Fais-moi mourir encore : l’habile maître de tes yeux, ton cœur inflexible a su leur enseigner des regards dédaigneux et un tel mépris qu’ils ont assassiné mon pauvre cœur ; et mes yeux, fidèles guides de leur reine, auraient été à jamais privés de la vue, sans la compassion de tes lèvres.

LXXXV. — Puissent-elles se baiser longtemps, pour prix de cette cure ! Oh ! ne laisse jamais flétrir leur incarnat ! et puisse leur fraîcheur dissiper tant qu’elles dureront les influences dangereuses de l’année ! Les astrologues qui ont écrit sur la mort diront que la peste est bannie par ton souffle.

LXXXVI. — Lèvres pures, sceaux délicieux imprimés sur mes lèvres, quel marché pourrais-je faire pour obtenir encore leur empreinte ! Me vendre moi-même ? ah ! j’y consens, pourvu que tu veuilles m’acheter, me payer, et en bien user envers moi. Si tu fais cette acquisition, de crainte de méprises, applique bien ton sceau sur mes lèvres vermeilles.

LXXXVII. — Avec mille baisers tu peux acheter mon cœur, et les payer à ton loisir l’un après l’autre. Que sont pour toi dix fois cent baisers ? ne sont-ils pas bien vite comptés, bien vite donnés ? Convenons, qu’en cas de non-payement, la dette serait double ; deux mille baisers te donneraient-ils tant de peine ? »

LXXXVIII. — Belle reine, dit-il, si vous me devez quelque amour, que mes jeunes années vous expliquent mes bizarreries ; ne cherchez pas à me connaître avant que je me connaisse moi-même : il n’est pas de pêcheur qui n’épargne le fretin. La prune mûre tombe, la verte tient à la branche ; ou si elle est cueillie trop tôt, elle est aigre au goût.

LXXXIX. — Voyez ! le consolateur du monde achève à l’occident, d’un pas fatigué, sa brûlante carrière de la journée ; le hibou, héraut de la nuit, crie qu’il est tard ; les troupeaux sont rentrés dans leur bercail, les oiseaux dans leur nid, les noirs nuages qui voilent la lumière du ciel nous somment de nous séparer et de nous dire bonsoir…

XC. — Laissez-moi donc vous dire bonne nuit, et dites-