Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/438

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brillants qu’elles, mais tu ne les roules
pas faussement comme elles, tes regards voient l’objet sur lequel ils se
portent ; tu as le teint d’un homme, toutes les nuances sont à ta
disposition pour attirer les yeux des hommes et pour surprendre les âmes
des femmes. Tu avais d’abord été créé pour être une femme, mais la
nature en te façonnant est tombée dans la rêverie, et par ses additions
elle m’a privée de toi en ajoutant quelque chose qui ne m’était bon à
rien. Mais puisqu’elle t’a destiné à la satisfaction des femmes, que ton

amour m’appartienne et qu’elles usent de ton amour comme d’un trésor.


Il n’en est pas de moi comme de cette muse animée à versifier par une

beauté fardée, qui emprunte au ciel même ses ornements, et qui compare
toutes les beautés à sa belle, accumulant les similitudes les plus
ambitieuses, le soleil et la lune, les riches joyaux de la terre et de
la mer, les premières fleurs du mois d’avril et tout ce que les airs du
ciel renferment de rare dans leur vaste sein. Pour moi qui suis sincère
en amour, permettez-moi d’écrire sincèrement, et puis, croyez-moi, celle
que j’aime est aussi belle qu’aucun enfant des hommes, bien qu’elle ne
soit pas aussi éclatante que ces flambeaux d’or fixés dans les cieux ;
que ceux qui aiment à parler par ouï-dire en disent davantage, je ne
veux pas vanter ma marchandise, puisque je n’ai pas l’intention de la

vendre.



Mon miroir ne me persuadera pas que je suis vieux, tant que la jeunesse

et toi serez du même âge ; mais lorsque j’apercevrai chez toi les rides
du temps, alors j’attendrai la mort pour expier ma vie, car toute cette
beauté qui te pare n’est que le vêtement charmant de mon cœur qui vit
dans ton sein, comme le tien en moi. Comment donc pourrais-je être plus
âgé que toi ? C’est pourquoi, mon amour, prends soin de toi comme je
prends soin de moi-même ; non pour moi, mais pour toi, puisque je porte
ton cœur, que je garderai tendrement comme une bonne nourrice garde son
enfant du mal. Ne compte pas sur ton cœur ; si le mien expire, tu m’as

donné le tien, mais non pour le reprendre..

{{Titre|Sonnets|William Shakespeare|