Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/476

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Jadis ce qui était noir ne passait pas pour blanc, ou, lorsqu’on le
jugeait tel, il ne portait pas le nom de beauté, mais maintenant le noir
est l’héritier successif de la beauté, et la beauté est outragée par une
honte bâtarde ; car depuis que la main a pris le pouvoir de la nature,
pour embellir la laideur du faux attrait de l’art, la charmante beauté
n’a plus de nom, ni d’heure sacrée, elle est profanée, lorsqu’elle n’est
pas dans la disgrâce. Aussi les yeux de ma maîtresse sont-ils d’un noir
de corbeau, ses yeux si beaux ; et ils ont air de pleurer sur celles qui,
n’étant pas nées avec le teint blanc, ne manquent d’aucun attrait, et
insultent la créature par leur charme mensonger, mais lorsqu’ils
pleurent, le chagrin leur va si bien que tout le monde dit que ta beauté

devrait revêtir cet aspect.


Sonnets
CXXVIII
Combien, lorsque tu joues, toi qui es ma musique, une douce musique sur

ce bois béni que font résonner tes doigts charmants, lorsque tu fais
doucement obéir cette harmonie vibrante qui étonne mon oreille, combien
souvent j’envie ces marteaux qui s’élancent pour baiser la tendre paume
de ta main, tandis que mes pauvres lèvres, qui devraient recueillir
cette récolte, rougissent à tes côtés de la hardiesse de ce bois ? Pour
être ainsi caressées, elles changeraient volontiers de place et de sort
avec ces petits morceaux de bois sautillants sur lesquels tes doigts se
promènent avec une douce élégance, rendant un bois mort plus heureux que
des lèvres vivantes. Puisque ces impertinents marteaux ont un pareil

bonheur, donne-leur tes doigts, et donne-moi tes lèvres à embrasser.


La luxure est la dépense de l’âme dans un abîme de honte, et jusqu’à ce

qu’elle soit satisfaite, la luxure est parjure, meurtrière, sanguinaire,
digne de blâme, sauvage, excessive, grossière, cruelle, et digne
d’inspirer la méfiance dès qu’elle est satisfaite, on la méprise : on la
poursuit au delà de toute raison, et dès qu’on en a joui, on la hait au
delà de toute raison, comme une amorce placée à dessein pour rendre fou
celui qui s’y laissera prendre. On la poursuit avec folie, et la
possession vous rend fou, avant, pendant et après, elle est extrême.
Dans l’avenir elle semble un bien suprême, dans le