Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/167

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je vous ferai regarder dans votre cœur, — et voir comme il est noir et horrible.
LA REINE.

Hamlet ! que veux-tu dire par ces mots meurtriers ?

HAMLET.

Eh bien ! je veux dire ceci. Tenez, examinez cette peinture : — c’est le portrait de votre défunt mari. — Voyez cette face qui efface celle même de Mars, — cet œil qui faisait trembler l’ennemi, — ce front où sont inscrites toutes les vertus — propres à orner un roi et à dorer une couronne. — En lui[1] le dévouement marchait la main dans la main — avec la foi conjugale ! Et il est mort ! — assassiné, odieusement assassiné. C’était votre mari ! — Regardez ici maintenant : c’est votre mari ! — Un visage comme Vulcain[2], — le regard du meurtre et du viol, — un regard baissé et funèbre ; des yeux de démon, — faits pour effrayer les enfants et étonner le monde ! — Et vous avez quitté celui-là pour prendre celui-ci. — Quel diable vous a ainsi attrapée à colin-maillard ? — Ah ! vous avez des yeux, et vous pouvez regarder celui — qui a tué mon père, votre cher mari, — et vivre dans les plaisirs incestueux de son lit !

LA REINE.

Ô Hamlet ! ne parle plus !

  1. Cette belle image se retrouve dans le second Hamlet, à la scène v. Au moment où le roi devenu spectre raconte à Hamlet, sur la plate-forme d’Elseneur, comment il a été empoisonné, il lui dit :
    « Ô Hamlet ! quelle chute ! De moi en qui l’amour, toujours digne, marchait la main dans la main, avec la foi conjugale, descendre à ce misérable ! »
  2. En révisant son œuvre, Shakespeare a bien fait de supprimer cette comparaison. Après avoir comparé le défunt roi à Mars, il n’était pas juste que Hamlet comparât le roi usurpateur à Vulcain ; car si, dans sa rivalité avec Mars, Vulcain avait la laideur contre lui, il avait du moins la légitimité pour lui.