Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/244

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et si profond — qu’on eût dit que son corps allait éclater — et que c’était sa fin. Cela fait, il m’a relâchée, — et, la tête tournée par-dessus l’épaule, — il semblait trouver son chemin sans y voir, — car il a franchi les portes sans l’aide de ses yeux, — et jusqu’à la fin, il en a détourné la lumière sur moi.
POLONIUS.

— Viens avec moi : je vais trouver le roi. — C’est bien là le délire même de l’amour : — il se frappe lui-même dans sa violence, — et entraîne la volonté à des entreprises désespérées, — plus souvent qu’aucune des passions qui, sous le ciel, — accablent notre nature. Je suis fâché… — Ah çà, lui auriez-vous dit dernièrement des paroles dures ?

OPHÉLIA.

— Non, mon bon seigneur ; mais, comme vous me l’aviez commandé, — j’ai repoussé ses lettres et je lui ai refusé — tout accès près de moi.

POLONIUS.

C’est cela qui l’a rendu fou. — Je suis fâché de n’avoir pas mis plus d’attention et de discernement — à le juger. Je craignais que ce ne fût qu’un jeu, — et qu’il ne voulût ton naufrage. Mais maudits soient mes soupçons ! — Il semble que c’est le propre de notre âge — de pousser trop loin la précaution dans nos jugements, — de même que c’est chose commune parmi la jeune génération — de manquer de retenue. Viens, allons trouver le roi. — Il faut qu’il sache tout ceci : le secret de cet amour peut provoquer — plus de malheurs que sa révélation de colères. — Viens.

Ils sortent.