Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/305

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LA REINE.

— À qui dites-vous ceci ?

HAMLET.

Ne voyez-vous rien là ?

LA REINE.

— Rien du tout ; et pourtant je vois tout ce qui est ici.

HAMLET.

— N’avez-vous rien entendu ?

LA REINE.

Non, rien que nos propres paroles.

HAMLET.

— Tenez, regardez, là ! Voyez comme il se dérobe ! — Mon père, vêtu comme de son vivant ! — Regardez, le voilà justement qui franchit le portail.

Sort le spectre.
LA REINE.

— Tout cela est forgé par votre cerveau : — le délire a le don — de ces créations fantastiques.

HAMLET.

— Le délire ? — Mon pouls, comme le vôtre, bat avec calme — et garde sa saine harmonie. Ce n’est point une folie — que j’ai proférée : voulez-vous en faire l’épreuve ? — je vais tout vous redire ; un fou — n’aurait pas cette mémoire. Mère, au nom de la grâce, — ne versez pas en votre âme le baume de cette illusion — que c’est ma folie qui parle, et non votre faute ; — vous ne feriez que fermer et cicatriser l’ulcère, — tandis que le mal impur vous minerait toute intérieurement — de son infection invisible. Confessez-vous au ciel ; — repentez-vous du passé ; prévenez l’avenir, — et ne couvrez pas l’ivraie d’un fumier — qui la rendra plus vigoureuse. Pardonne-moi cette vertu, — car, au milieu d’un monde devenu poussif à force d’engraisser, — il faut que la vertu