Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/345

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supporter l’inhumation), il peut vous durer huit ou neuf ans. Un tanneur vous durera neuf ans.
HAMLET.

Pourquoi lui plus qu’un autre ?

PREMIER PAYSAN.

Ah ! sa peau est tellement tannée par le métier qu’il a fait, qu’elle ne prend pas l’eau avant longtemps : et vous savez que l’eau est le pire destructeur de votre putassier de corps mort. Tenez, voici un crâne : ce crâne-là a été en terre vingt-trois ans.

HAMLET.

À qui était-il ?

PREMIER PAYSAN.

À un extravagant fils de garce. À qui croyez-vous ?

HAMLET.

Ma foi ! je ne sais pas.

PREMIER PAYSAN.

Peste soit de l’enragé farceur ! Un jour il m’a versé un flacon de vin du Rhin sur la tête ! Ce même crâne, monsieur, était le crâne de Yorick, le bouffon du roi.

HAMLET, prenant le crâne.

Celui-ci ?

PREMIER PAYSAN.

Celui-là même.

HAMLET.

Hélas ! pauvre Yorick !… Je l’ai connu, Horatio ! C’était un garçon d’une verve infinie, d’une fantaisie exquise : il m’a porté sur son dos mille fois. Et maintenant quelle horreur il cause à mon imagination ! Le cœur m’en lève. Ici pendaient ces lèvres que j’ai baisées, je ne sais combien de fois. Où sont vos plaisanteries maintenant ? vos escapades ? vos chansons ? et ces éclairs de gaieté qui faisaient rugir la table de rires ? Quoi ! plus un mot à présent pour vous moquer de votre propre grimace ? bouche