Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La critique doctrinaire a généralement condamné ce dénoûment comme immoral et injuste ; elle n’a vu qu’une tuerie sans cause et sans but dans le quadruple meurtre qui termine Hamlet. D’après mon humble opinion, la critique n’a peut-être pas suffisamment réfléchi au jugement qu’elle portait : elle s’est trop placée à son propre point de vue, et pas assez au point de vue de l’auteur. Hamlet n’est pas une œuvre moderne. La loi morale qui y règle la destinée des personnages n’est pas la loi nouvelle du pardon, c’est la loi de l’antiquité devenue celle du moyen âge, la vieille loi : œil pour œil, dent pour dent. La catastrophe où succombe la famille d’Hamlet est fatale comme la fin des Atrides. Il en est de la maison royale de Danemark comme de cette maison de Pélops dont tous les membres s’entretuent, et l’on peut dire de l’une ce qu’Horace a dit de l’autre : Sævu Pelopis domus ! Le Dieu qu’on adore au pays d’Hamlet n’est pas le Dieu de l’Évangile, le Dieu d’amour, c’est le Dieu de vengeance. Ce Dieu-là a exigé de Shakespeare son dénoûment, comme il l’eût exigé d’Eschyle.

Un célèbre écrivain que nous aimons disait dernièrement, pour excuser Shakespeare, que le dénoûment d’Hamlet était sans doute une conclusion improvisée, et que l’auteur, absorbé probablement par ses fonctions de directeur de troupe, n’avait pas eu le temps de l’étudier. À mon avis, Shakespeare ne mérite pas ces circonstances atténuantes. Mauvais ou non, le dénoûment d’Hamlet a été bel et bien prémédité par lui. Si le poëte avait été si pressé de trouver un dénoûment, que ne prenait-il simplement celui que lui indiquait la légende de Belleforest ? Dans la légende, en effet, on ne voit ni la mort de Gertrude ni la mort de Laertes ; Amleth tue le tyran fratricide et lui survit pour régner après lui. Si Shakespeare a rejeté ce dénoûment si simple, ce n’est, croyez-le