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SCÈNE XXVI.

LE GEÔLIER.

Le compte est rude pour vous, monsieur. Mais, ce qu’il y a de consolant, c’est que vous n’aurez plus à faire de payements, plus à craindre de ces notes de taverne, qui, si elles vous ont procuré la joie, attristent souvent le départ. Vous entrez là défaillant à force d’avoir faim ; vous en sortez chancelant à force d’avoir bu ; fâché d’avoir trop payé, et fâché d’avoir trop reçu ; la bourse et le cerveau vides ; le cerveau trop lourd, pour avoir été trop léger ; la bourse trop légère, pour avoir été éventée. Oh ! vous serez désormais à l’abri de ces contrastes… Quelle charité que celle d’une corde de deux sous ! Le temps de glisser, et elle additionne les milliers ; vous n’avez pas besoin d’autre teneur de livre : elle vous donne décharge du passé, du présent et de l’avenir. Pour elle, monsieur, votre nuque est à la fois plume, registre et comptoir ; et vite, voici l’acquit !

POSTHUMUS.

Je suis plus joyeux de mourir que tu ne l’es de vivre.

LE GEOLIER.

Il est vrai, monsieur, que celui qui dort ne sent pas le mal de dents. Mais un homme qui doit dormir de votre sommeil et qu’un bourreau doit mettre au lit changerait volontiers, je crois, de place avec son chambellan, car, voyez-vous, monsieur, vous ne savez pas le chemin que vous allez prendre.

POSTHUMUS.

Si fait, je le sais, l’ami !

LE GEOLIER.

Votre mort a donc des yeux dans le crâne ? je n’en ai jamais vu ainsi représentée. Il faut ou que vous soyez dirigé par quelqu’un qui prétend le savoir, ou que vous prétendiez vous-même savoir ce qu’à coup sûr vous ne savez pas, ou enfin que vous hasardiez une reconnais-