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SCÈNE IV.

DESDÉMONA.

Oh ! La lourde bévue ! La pire est celle que tu vantes le mieux ! Mais quel éloge accorderas-tu donc à une femme réellement méritante, à une femme qui, en attestation de sa vertu, peut à juste titre invoquer le témoignage de la malveillance elle-même ?

IAGO.

Celle qui, toujours jolie, ne fut jamais coquette,
Qui, ayant la parole libre, n’a jamais eu le verbe haut,
Qui, ayant toujours de l’or, ne s’est jamais montrée fastueuse,
Celle qui s’est détournée d’un désir en disant : « Je pourrais bien ! »
Qui, étant en colère et tenant sa vengeance,
A gardé son offense et chassé son déplaisir,
Celle qui ne fut jamais assez frêle en sagesse
Pour échanger une tête de morue contre une queue de saumon (29),
Celle qui a pu penser et n’a pas révélé son idée,
Qui s’est vu suivre par des galants et n’a pas tourné la tête,
Cette créature-là est bonne, s’il y eut jamais créature pareille.

DESDÉMONA.

À quoi ?

IAGO.

À faire téter des niais et à déguster de la petite bière.

DESDÉMONA.

Oh ! Quelle conclusion boiteuse et impotente !… Ne prends pas leçon de lui, Émilia, tout ton mari qu’il est… Que dites-vous, Cassio ? Voilà, n’est-ce pas ? un conseiller bien profane et bien licencieux.

CASSIO.

Il parle sans façon, madame : vous trouverez en lui le soldat de meilleur goût que l’érudit.

Cassio parle à voix basse à Desdémona et soutient avec elle une conversation animée.
IAGO, les observant.

Il la prend par le creux de la main… Oui, bien dit !