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EXTRAIT DU DÉCAMÉRON DE BOCCACE.

sien ami, jusqu’à ce qu’il lui sembla être temps de faire ce qu’il entendait. Sicuran avait déjà fait conter la nouvelle par Ambroise devant le soudan, et lui en avait fait prendre plaisir. Mais depuis qu’elle vit Bernard son mari, elle, ayant pris temps convenable, impétra tant de faveur du soudan que l’on ferait venir devant lui Ambroise et Bernard, et qu’en la présence de Bernard, si Ambroise ne voulait dire sans contrainte la vérité de ce qu’il se vantait avoir eu de la femme de Bernard, on la lui ferait confesser par force.

Au moyen de quoi, quand Ambroise et Bernard furent venus, le soudan, en la présence de plusieurs, avec un rude visage, commanda à Ambroise qu’il dît la vérité, comme il avait gagné à Bernard cinq mille ducats d’or ; et là était présent Sicuran, auquel Ambroise se fiait plus, qui, avec un visage plus que courroucé, le menaçait de très-griefs tourments, s’il ne le disait. Par quoi Ambroise, étonné d’un côté et d’autre, et encore se voyant aucunement contraint, raconta entièrement, et au vrai, en la présence de Bernard et de plusieurs autres, comme le tout avait été fait, ne pensant encourir autre peine qu’à rendre les cinq mille ducats d’or et les besognes qu’il avait prises. Et, quand il eut tout dit, Sicuran, comme exécuteur du soudan sur ce point, se tourna vers Bernard et lui dit : — Et toi, que fis-tu pour l’occasion de tel mensonge de ta femme ?

À qui Bernard répondit : — Me voyant convaincu de courroux pour la perte de mon argent, et de la honte et vergogne qu’il me semblait que je recevais de ma femme, je la fis tuer par un mien serviteur, et, selon qu’il me rapporta, elle fut soudainement dévorée des loups.

Ces choses ainsi dites en la présence du soudan, et toutes par lui ouïes et entendues, sans savoir encore pour quelle occasion Sicuran avait ordonné et pour-