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INTRODUCTION.

et la victoire implacable exige son holocauste. Ainsi l’ordonne le roi Cymbeline. À cet instant suprême, Lucius, le général prisonnier, élève la voix, et, montrant Imogène, demande que son page, qui n’a pas pris part au combat, soit admis à payer rançon. En apercevant Imogène, Cymbeline se sent pris d’une insurmontable sympathie pour cet adolescent qu’il a vu il ne sait où : « Enfant, tu as d’un regard conquis ma faveur : vis, et demande à Cymbeline la grâce que tu voudras. » Imogène, qui, depuis quelque temps, a considéré Iachimo avec une anxiété étrange, réclame pour toute faveur que ce gentilhomme dise de qui il tient l’anneau qu’il porte au doigt.

Cette simple question d’Imogène dénoue le drame entier. Sommé de s’expliquer, Iachimo avoue tout : cet anneau qui appartenait à Posthumus, il l’a obtenu par un mensonge ; et le misérable, ayant les larmes dans la voix et le remords dans l’âme, se met à raconter le fatal pari, sa tentative auprès d’Imogène, son échec, et, enfin, l’odieux stratagème auquel il a eu recours. En entendant ce récit qui lui révèle combien il a été dupe, Posthumus a le même désespoir qu’aura tout à l’heure Othello en écoutant Émilia. Il s’arrache les cheveux, il déchire son déguisement romain, et, s’élançant vers Cymbeline comme au suicide : « Je suis Posthumus ! s’écrie-t-il, et c’est moi qui ai tué ta fille ! Je suis celui que les plus horribles choses de ce monde corrigent, étant pire qu’elles toutes. Crachez, lancez des pierres, jetez de la boue sur moi ! Que chaque criminel soit appelé Posthumus Léonatus ! Son crime sera toujours moindre que le mien !… Ô Imogène, ma vie ! ma femme ! ma reine ! » Grâce au ciel, Imogène n’est pas morte, ainsi que Desdémona. À cet appel irrésistible de son mari, elle oublie ce costume de page qui la rend méconnaissable, et, s’avan-